C’est un fait : embaucher un salarié coûte deux fois plus cher que de faire appel à un auto-entrepreneur, notamment à cause des cotisations sociales à prévoir.
Un avantage financier qui motive les employeurs à proposer à leurs salariés de devenir auto-entrepreneur plutôt que de les embaucher en CDI, quitte à leur offrir une rémunération supérieure. Une dérive observée en entreprise qui inquiète l’administration qui y voit une précarisation des travailleurs en France sous forme de salariat déguisé.
Alors qu’appelle-t-on exactement le “salariat déguisé” ? Quelles sont les dispositions prises par l’administration pour lutter contre les abus ? Zoom sur une pratique traquée par la justice.
L’attractivité du régime fiscal de l’auto-entrepreneur
L’auto-entrepreneur est un entrepreneur individuel qui bénéficie d’un statut allégé en charges fiscales, sociales et en formalisme. Le régime auto-entrepreneur comporte de nombreux avantages qui permettent de tester un projet d’entreprise ou d’exercer une activité complémentaire :
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Une souplesse des charges et cotisations sociales qui sont un pourcentage du chiffre d’affaires.
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Une franchise en base de TVA : celle-ci n’est pas répercutée sur le prix de vente
- Pas d’obligation de tenir une comptabilité commerciale : l’auto-entrepreneur réalise lui-même ses devis et factures et déclare chaque mois son chiffre d’affaires en ligne.
Autant d’avantages qui permettent aux auto-entrepreneurs de proposer des tarifs attractifs à leurs clients. C’est le calcul fait par des chefs d’entreprises qui n’hésitent pas à externaliser certaines missions en les confiant à des auto-entrepreneurs. Le problème, c’est lorsqu’une mission récurrente est confiée à un auto-entrepreneur alors qu’elle nécessiterait la création d’un emploi salarié, et qu’il existe un lien de subordination entre l’entreprise et le travailleur indépendant.
Les pratiques de salariat déguisé condamnées par l’URSSAF
Le phénomène du travail dissimulé a été reconnu par les juges dans de nombreux secteurs comme le conseil, les médias et l’informatique mais aussi la restauration, la formation et l’enseignement privé, le BTP ou encore les transports.
Parmi les situations observées, plusieurs cas reviennent fréquemment :
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L’employeur, souhaitant réaliser des économies, propose à un salarié en CDI de lui offrir un contrat de prestation mieux rémunéré sous le statut d’auto-entrepreneur.
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L’employeur fait appel à un auto-entrepreneur à temps plein plutôt que de recruter un nouvel employé.
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L’employeur propose à un candidat une période d’essai de plusieurs mois sous forme d’un contrat de prestation en auto-entrepreneur.
Quelles sanctions contre l’entreprise ?
Les entreprises pratiquant l’externalisation abusive de salariés et l’embauche volontaire de faux indépendants sont lourdement punies par la justice. Pour une entreprise, chercher à échapper à ses obligations d’employeur envers un salarié constitue une fraude constitutive du délit de travail dissimulé (article L8221-5 du Code du Travail). Les sanctions prévues pour ce délit :
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Une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 3 ans
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Une amende de 45 000 €
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Le paiement des salaires et charges sociales sur la base d’un poste équivalent, depuis le premier jour de la relation de travail avec l’auto-entrepreneur
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Le versement d’indemnités à la demande de l’auto-entrepreneur
En cas de récidive, les sanctions pourront être doublées pour l’employeur.
Quelles sanctions contre l’auto-entrepreneur ?
Pour ce délit, l’auto-entrepreneur est considéré comme une victime et n’est pas poursuivi par la justice. Il peut, à ce titre, réclamer des indemnités auprès de l’entreprise donneur d’ordre. L’absence de poursuites judiciaires n’exclut pas d’éventuelles régularisations :
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remboursement des prestations sociales
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remboursement d’allocations chômages
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requalification en salariat : l’employeur devra lui offrir un poste en CDI ou lui verser des indemnités.
Êtes-vous dans une situation de salariat déguisé ?
Voici 5 questions pour vous savoir si vous risquez une requalification par l’URSSAF.
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Vous sentez-vous libre de toute relation de subordination avec l’entreprise donneur d’ordre ?
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Utilisez-vous votre propre matériel et outils pour mener à bien votre mission ?
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Êtes-vous libre d’établir votre planning et horaires d’intervention auprès de votre client ?
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Votre donneur de mission est-il votre seul et unique client ?
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Cet unique client est-il votre ancien employeur ?
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Êtes-vous en prospection de nouveaux clients ?
Si vous répondez par la négative à la majorité des questions ci-dessus, vous êtes très certainement dans une situation de salariat déguisé.
Que faire si vous vous retrouvez dans une situation de salariat déguisé ?
> Consultez notre article “Être dans les clous en cas de contrôle fiscal”
Nos conseils pour éviter les situations de salariat déguisé
La clé pour l’auto-entrepreneur est de garder son indépendance vis-à-vis de l’entreprise qui fait appel à ses services. Plusieurs indices peuvent présager un lien de subordination entre l’entreprise et le travailleur indépendant : horaires imposés, consignes en matière d’absences, tenue de travail exigée, directives d'exécution de travail, sanctions en cas de manquements, etc. En tant que travailleur indépendant, l’auto-entrepreneur n’a pas à se plier à ces exigences et est donc en droit de réclamer une requalification du contrat de prestation en contrat de travail. Pour cela, il pourra signaler sa situation auprès de l’URSSAF ou auprès de l’Inspection du Travail pour constater les irrégularités et saisir le procureur de la République.
Ubérisation et salariat déguisé
Avec l’émergence des plateformes collaboratives et de leur modèle économique faisant appel à des auto-entrepreneurs, la Loi “El Khomri” ( loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels) prévoit de nouvelles dispositions pour instaurer une “responsabilité sociale des plateformes” envers les travailleurs qu’elles missionnent. Les plateformes telles que Uber ou Deliveroo sont en effet taxées de pratiquer du salariat déguisé par les auto-entrepreneurs décriant les conditions imposées par ces plateformes (tenue de travail, procédure, outils, code de conduite...) et dénonçant une protection sociale insuffisante (pas d’indemnités journalières en cas de maladie, aucun droit au chômage…)
Alors QUID d’un contrat de travail spécifique pour ces auto-entrepreneurs pas si indépendants ? Le dialogue reste en suspens et des spécialistes du droit du travail planchent sur la question.
La loi reconnaît désormais pour ces auto-entrepreneurs le droit de constituer une organisation syndicale, d’y adhérer et de faire valoir leurs intérêts collectifs.
https://www.legifrance.gouv.fr